Ces deux-là n’avaient rien pour se rencontrer. Nicole est Clichoise et a eu 1000 vies : restauratrice dans le quartier Saint-Michel puis caviste et sommelière, elle a développé en Chine l’art de la table à la Française dans les années 1990. Elle est aujourd’hui et depuis 16 ans la responsable de l’antenne clichoise du Secours populaire. Marie-Noëlle (Marino pour les intimes et les moins intimes) est Villefargeaulaise, amoureuse de la nature, des animaux et en particulier des chevaux et poneys. Son mari est maréchal-ferrant depuis 1985, elle a fondé la ferme équestre du Buisson en 2000. Au milieu des chiens, des poules et des oies, Marino et son équipe s’occupent d’une petite trentaine de chevaux et de poneys grâce auxquels la joyeuse équipe fait passer des messages de bienveillance, de patience et de persévérance. Les deux femmes qu’a priori leurs trajectoires ne devaient pas faire se croiser se sont rencontrées pour la première fois en octobre et pourtant c’est comme si elles se connaissaient depuis des temps immémoriaux. Il faut dire qu’elles ont en commun de se soucier de leur prochain et de vouloir le bien et le bon pour lui. Pour les deux, cela passe par une certaine idée du respect, du partage et de faire passer les codes indispensables au bien-vivre ensemble.
Avec le support de Clichy Mécénat et de la Ville, les vies de Nicole et Marino se sont donc croisées. Régulièrement, Nicole envoie durant les vacances scolaires une dizaine d’enfants suivis par l’antenne clichoise du Secours populaire dans la ferme équestre de Marino. Il faudrait un livre entier pour décrire complètement cette ferme. Parfaitement fondue dans un décor vert de la campagne icaunaise, il en émane une douceur, une imperméabilité au temps qui passe et donc une permanence. Ici sont élevés chevaux et poneys que Marino sélectionne avec soins. Elle nous raconte : « Le dernier poney arrivé s’appelle Cool. Il vient d’Irlande, du Connemara précisément. J’étais conviée par un marchand à une vente et les animaux étaient stressés par le voyage et par le fait d’être dans un lieu qu’ils ne connaissaient pas. Quand le marchand me demande quel type d’animal je cherche, je lui dis que je veux un poney cool. À peine avais-je fini ma phrase qu’un poney s’approche de moi et vient chercher des caresses. Il était le seul poney calme de toute la vente. Les animaux sont d’une intelligence redoutable.». Marino compte précisément sur l’intelligence qu’humains et animaux partagent pour que leurs échanges soient fructueux. De l’aveu de Nicole : « Les enfants qui passent une semaine à la ferme du Buisson reviennent à la fois émerveillés, transformés et étonnés. Il n’y a que des arbres ou des collines pour briser la vue, ils découvrent l’existence d’animaux et d’une vie déconnectée, sans écran. Ils ne s’imaginent même pas que ça puisse exister, encore moins qu’ils puissent y être heureux. »
Dans ces 30 hectares, rien n’empêche les enfants clichois de vivre l’instant présent, de se concentrer sur eux et sur ce qu’ils vivent. « Les poneys sont un vecteur de ce que l’on cherche à leur faire passer : apprendre à prendre son temps, faire attention à l’autre et à son environnement. Pour cela il faut du calme et de la sécurité. C’est comme ça que nous avons conçu le manège : avec du bois, une matière naturelle et chaude, avec beaucoup d’ouvertures pour avoir le plus de lumière possible », nous glisse Marie-Noëlle. C’est ici que les enfants font connaissance avec les animaux et apprennent comment les mener et communiquer avec eux. Ce n’est qu’une fois que chacune des parties est à l’aise qu’une sortie à l’extérieur de la ferme s’envisage.
Pour Marino, créer un sentiment de sécurité pour les enfants passe aussi par l’instauration d’un cadre et de règles que chacun doit respecter. Une liste est éditée à chaque nouveau séjour et, sous une yourte construite des mains de Marino et son mari, les enfants doivent jouer toutes les bêtises qu’ils imaginent pouvoir faire à la ferme et s’engagent, en signant au bas de la liste des règles édictées à ne pas les faire. Si par hasard l’un d’eux venait à en transgresser l’une d’elles, le groupe se réunit sous la yourte, Marino organise un jeu au terme duquel le groupe parle de ce qui vient de se passer et en tire un enseignement. Pas de punition, pas de sanction, pas d’altercation mais du dialogue, de l’écoute et de l’échange. Le repas aussi est un moment privilégié, où les plats servis ont été cuisinés par Marino, essentiellement à base de légumes.
Au terme de cette semaine de découvertes, les enfants reviennent unanimement changés, empreints d’une nouvelle solidarité, des souvenirs à revendre. Pour certains, la métamorphose peut être encore plus profonde. Nicole : « Il y avait cet enfant d’une dizaine d’années que nous connaissions bien au Secours populaire. Très gentil, très attentif, mais il ne décrochait pas un mot. Il fallait beaucoup de temps et de patience pour l’entendre. Quand on lui demandait pourquoi il ne parlait pas, il nous répondait que ça ne servait à rien puisque chez lui personne ne l’écoutait. On s’est dit qu’un séjour à la ferme du Buisson lui ferait du bien et lui permettrait de s’évader. Quand il est revenu, ce n’était pas le même enfant. Il nous a raconté en long et en large son séjour, à commencer par son dialogue avec un cheval. L’enfant nous a expliqué qu’il lui parlait et que le cheval l’écoutait. Je lui ai demandé comment il pouvait en être sûr et il m’a fait cette réponse formidable : il a fermé les yeux et il secouait la tête. »